Le monsieur à la harpe

Le monsieur à la harpe

J’étais en Amérique latine depuis environ un an, au Pérou depuis quelques semaines.

Je me promenais dans les rues de Cuzco, transportée par la beauté de ces pierres taillées il y a 1 400 ans par des hommes qui avaient passé leur vie entière à les rendre si parfaites.

Cuzco porte encore aujourd’hui son prodigieux passé dans la perfection de ses murs. La ville qui fut jadis la capitale de l’empire inca est encore debout malgré les tourmentes qui l’ont secouée pendant un long millénaire. Ces remparts bâtis avec une patiente minutie et un prodigieux savoir-faire seront là longtemps après que le dernier d’entre nous aura quitté cette terre.

J’entendis d’abord la musique, douce, cristalline, portée par le vent froid qui annonçait la nuit.

Et un peu plus loin, ce monsieur assis sur un tabouret, à l’abri d’une porte cochère, tirant d’une grande harpe les sons envoutants qui m’avaient menée jusqu’à lui.

Ses mains couraient le long des cordes, les notes s’envolaient sous la caresse vive de ses doigts et sa tête reposait contre le montant de l’instrument.

Il perçut ma présence, leva la tête et son regard aveugle me traversa.

Quand il eut terminé, je le remerciais pour cette musique et je lui demandais s’il avait commencé à jouer de la harpe quand il était enfant.

Il se tut un long moment et finalement me dit :

“Je suis aveugle depuis longtemps maintenant, j’étais déjà complètement aveugle lorsque ma famille commença à comprendre que je perdais peu à peu la vue.”

Mais bien avant ça, alors que ce voile noir s’étendait, j’appris à jouer d’un instrument. C’était la seule manière de faire vivre ma famille lorsque je serai complètement aveugle.”

La femme du médecin m’offrit cette harpe héritée de sa mère. Ce magnifique instrument prenait depuis des décennies la poussière dans le grenier.

Et j’appris à en jouer… moi qui n’avais jamais approché un instrument. Ce long apprentissage m’aida à surmonter la peur de l’obscurité qui m’engloutissait peu à peu.

Dans les quelques instants de repos que je m’accordais, je m’entrainais les yeux fermés à me déplacer dans la maison pour m’habituer au néant qui allait arriver dans ma vie. Je voulais que tout reste normal le plus longtemps possible.

Et quand finalement vint le jour où je me réveillai dans le noir le plus complet, je fus prêt à gagner ma vie.

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